ANALYSE PROSPECTIVE DE LA SITUATION TRAUMATIQUE DES NATIONS ANCIENNEMENT COLONISEES D’AFRIQUE NOIRE: LE CAS DE FAM
Si Chantal Magalie MBAZOO KASSA n’avait préféré la capacité du roman à « mobiliser sur la base du récit tous les moyens, rationnels et irrationnels, narratifs et méditatifs susceptibles d’éclairer l’être »[1] pour vider le contenu de son cœur débordant[2], elle aurait sans doute rédigé un essai de prospective politique analysant la situation traumatique des nations anciennement colonisées (d’Afrique noire ?) et indiquant la thérapeutique à appliquer en vue de les sortir de leur léthargie actuelle ; car c’est bien de cela que traite la deuxième œuvre de fiction de cette femme fortement marquée par les professions hiératiques- d’enseignante, qui modèle les esprits et de journaliste, herméneute de l’actualité- qu’elle a choisi d’exercer
POUR ENTRER DANS L’ŒUVRE : LECTURE METHODIQUE DE LA PREMIERE DE COUVERTURE
La projection dans l’à-venir, dans le non encore existant, mieux, l’incursion dans ce qui doit arriver apparaît bien dès le titre « FAM !» dont la modalité exclamative conjoint au sémantisme du mot (FAM=homme) dans la langue de l’auteur (le dialecte NTUMU du continuum linguistique FANG- BETI) peut se révéler riche de significations ; il pourrait ainsi manifester le regret, face à l’absence d’hommes, de vrais hommes ou d’hommes capables ; tout comme il pourrait exprimer un ardent et fervent désir de voir de tels hommes émerger pour induire une dissipation totale des épais nuages qui semblent restreindre l’éclat du soleil du bonheur et de l’épanouissement du commun des mortels. On comprend ainsi que la symbolique antithétique des nuages sombres et du soleil éclatants (tous symboles qui illustrent la première de couverture) préfigurent à n’en point douter le combat –éternel et manichéen ?-entre les forces du mal et celles du Bien dont l’oeuvre rend très probablement compte.
AU FIL DE L’ŒUVRE
1. Résumé de l’intrigue et dynamique actantielle.
Le récit
FAM ! est le récit d’une quête…du pouvoir politique, pouvoir politique perçu comme inducteur d’épanouissement collectif. En effet, il s’agit du récit du parcours d’un cadre du nom de FAM Y ‘ELIK TARA[3] frais émoulu d’une université occidentale qui rentre dans son pays natal, SY, titulaire d’un doctorat en Sciences politiques en compagnie de son épouse, EWIMANE, elle-même docteur en psychologie. Leurs espoirs d’intégration sociale (surtout professionnelle) disparaîtront progressivement comme une peau de chagrin au contact des paradoxes et contrastes d’un pays véritable « paradis de l’absurde et de la contradiction », « cimetière des vouloirs » (p. 49). FAM butera sur ce que son grand frère, OZAN, appelle « les dures réalités de SY » et sera surtout confronté à l’illisibilité des critères de mobilité sociale ; « Je réalisai avec dégoût, confesse son amis NDONG, que de jeunes loups aux dents très longues mais à la tête bien vide se succédaient aux commandes des entreprises privées et publiques ainsi que de celles de l’administration centrale ; alors que moi, pourtant Docteur en Relations internationales, traînais quotidiennement mes savates dans les quartiers pourris de la capitale . »(p.31). N’eut été un concours de circonstances (la démission de sa femme du poste de secrétaire à la SNVM, Société Nationale des Vins de Mais, dépité par le harcèlement sexuel de son patron), l’entregent de son ami DIBALA (qui l’introduit à son corps défendant dans le cabinet du ministre de la communication) sans oublier le coup du sort (qui fera en sorte qu’il y soit nommé conseiller politique et succède plutard au titulaire du poste) ce citoyen ne serait jamais devenu « titulaire d’un numéro matricule à la fonction publique» (p.47).
Une fois à l’intérieur du système, FAM sera pris de « nausée » (p.48)du fait des « pratiques « budgétivores » , de « l’égoïsme des hommes politiques, toutes tendances confondues » (p.54) et à cause de l’intolérable largeur du fossé qui sépare les deux parties qui composent son SY natal ; d’une part « SY des riches, composé d’un petit noyau d’élus selon des critères occultes » et d’autre part « SY des pauvres, représentant la majorité populaire oubliée, méprisée et spoliée »(p.90). Constatant que son pays est sous le coup d’une « conspiration presque démoniaque » (p. 55), et répondant en quelque sorte à l’appel de la patrie, il lance un mouvement politique d’idéologie humaniste, anti- libérale et patriotique – le Front National de SY- qui le conduira au pouvoir. Il y parviendra non sans avoir échappé à une tentative d’assassinat politique (qui ramènera à sa conscience son réel potentiel mystique, son EVU), après avoir essuyé une première annulation de sa victoire à l’élection présidentielle et négocié secrètement avec le Grand Créateur, son bourreau d’hier.
L’histoire s’achève dans une ambiance à la fois de liesse populaire de célébration de la victoire du FNS sur « l’armée de la mort » (p.167), d’amnistie des pontes de l’ancien régime et sur les perspectives d’une vie joyeuse au sein du nouveau couple présidentiel (FAM / EWIMANE).
Ainsi, pour linéaire que cette intrigue paraisse, elle n’en est pas moins entrecoupé d’ analepses (sur l’ascendance d’EWIMANE ou sur le contexte de l’ingurgitation de l ’EVU par FAM respectivement aux pages 36 à 42 et 111 à 112) de digression (sur le contexte de rencontre et les conditions de séparation du couple NDONG des pages 25 à 30 ) de monologues intérieurs méditatifs ou lyriques et de débats polémiques sur un certain nombre d’actualités éternelles ( le patriotisme à la page 7, la pureté et la compromission aux pages 22 à 24, la féminité comme levier de promotion- réalisation sociale aux pages 62 à 66 , l’ évanescence de la beauté physique aux 69 et 70, l’égalité des sexes aux pages 80 à 87 ). Cette narration laisse aussi place de temps à autres aux réflexions portant sur des préoccupations localisées telles le communautarisme africain aux pages 18 à 19 et la gouvernance électorale sous nos latitudes à la page 49
La dynamique actantielle
En dépit de ces interruptions dans la continuité de la narration, on convient aisément que nous sommes en présence du récit d’une quête réussie qui prend les allures d’une véritable révolution ; on passe ainsi de « l’Eldorado perdu qu’était SY » (p.131) sous le règne du Grand Créateur à l’ « Eldorado reconquis » (p. 168) au lendemain de sa chute. Le principal artisan de cette transmutation sociale n’est autre que le personnage principal, qui du coup apparaît comme un héros ; celui-ci s’est appuyé sur les acquis de sa formation universitaire de troisième cycle et a puisé dans les ressources multi- séculaires de l’ésotérisme constructif traditionnel de son terroir ; il a par ailleurs su conjoindre son patriotisme, son courage, sa détermination, son intégrité morale et son humanisme à la constante sollicitude de son épouse (tous facteurs qui constituent ses adjuvants) pour vaincre l’apathie généralisée qui semblait tétanisé une population de SY ravalée au rang de « Maboules heureux »[4] . Par la même occasion il a pu terrasser l’obscurantisme et l’anomie érigés en modes et finalités de gouvernement par le Grand Créateur et ses sbires (ensemble des opposants du héros). C’est par cet ultime effort qu’il a pu accéder à l’objet de sa quête qui était le pouvoir politique, estompant par le fait même les sentiments de compassion et l’impression de non assistance à peuple spolié et clochardisé (destinateurs de l’action du héros). Et la satisfaction de FAM- le héros n’est complète que dans la mesure où son accession au pouvoir revivifie le peuple, véritable destinataire de son action[5] .
[4][5]2. Le personnel du roman
On a pu le déduire de ce qui précède, le personnel de ce roman est certes diversifié, mais il gravite essentiellement autour de la paire FAM / EWIMANE. Une étude globale de l’ensemble de ces personnages, permet de les envisager en trois catégories.
Il y a d’abord les parents et collatéraux de ce couple ; ce sont OZAN, le grand frère et son épouse qui accueillent le couple à son retour d’Europe, ELATE l’oncle et chef de village auprès de qui FAM ira revigoré son bagage mystique et toute la panoplie de cousins, de tantes et d’oncles qu’il (re)découvre à cette occasion, MOYISSI, la belle- mère (décédée ? le texte est muet à ce sujet) dont le rôle déterminant dans le moulage de la personnalité d’ EWIMANE est ressorti, le père de la même EWIMANE dont on ne dit pas grand chose, ESSILA, la belle sœur pragmatique qui paie de sa vie ce pragmatisme. Il y a ensuite les amis parmi lesquels DIBALA, l’aiguillon sur le scène professionnelle et plutard collaborateur fidèle dans le FNS, NDONG l’ancien défenseur des causes nobles reconverti dans la luxure et la course à l’enrichissement personnel caractéristiques de l’élite syenne. Il y a enfin les acteurs politiques notamment BINGATE, le ministre de la communication et lointain parent du personnage principal qui coopte ce dernier dans son cabinet, le tout puissant Grand Créateur, fondateur du PDS, l’attirail des membres de son gouvernement et le conseiller DUPONT architecte secret de la transition en douceur entre le Grand Créateur et FAM. Mais ce n’est pas tant ce listing plus ou moins exhaustif des personnages qui intéresse, c’est surtout le constat selon lequel la plupart de ces personnages donnent à voir un aspect de la perception que l’auteur a du monde, de ce qu’il est ou de ce qu’il devrait être.
FAM, le Messie rêvé des nations nègres post- colonisées
Dans cette entreprise de dévoilement de ce qui peut apparaître comme les convictions de l’auteur, FAM se présente finalement comme un modèle social, le modèle du leader politique, véritable messie au sens de celui qu’attendaient le juifs au début de notre ère, un être qui serait venu les libérer de l’oppressante et avilissante colonisation romaine. Ne voit- on pas FAM, juste au lendemain de son arrivée à la magistrature suprême, prendre l’engagement sincère et solennel (en conseil des ministre) de « rompre avec un passé triste et honteux (…) pour une reconstruction d’un eldorado » (p. 168) ? Par cet engagement on le voit enfilant le vêtement d’un MOISE sortant le peuple de Dieu de l’esclavage égyptien pour le conduire vers la terre promise, CANAAN, rebaptisé pour la circonstance « eldorado »[6]. FAM est dès lors l’étalon de l’élite politique souhaitée pour les jeunes nations post- colonisées Africaines.
Le portrait qui découle de lui dans l’œuvre résume les qualités attendues des aspirants à la gestion de la chose publique et de la destinée collective. Ces qualités sont entre autre le patriotisme, cette relation particulière à sa terre ; ces phrases de la page 136 sont assez expressives à ce sujet : « c’était sa terre. Il était elle. ».
Il s’agit aussi de l’Humilité et de la disposition à servir on peut ainsi lire à la page 110 que FAM « se prenait pour l’infiniment petit prêt à se sacrifier pour une cause plus grande » sans doute le bien être de son peuple. Il y a par ailleurs la simplicité et le respect des règles, on voit par exemple ce personnage subissant l’incurie et le manque de conscience professionnelle d’une guichetière dans une banque sans se sentir le devoir de brandir sa carte de visite à la page 154. On note également l’humanisme lorsque le candidat FAM exposant sa profession de foi à l’occasion de l’élection présidentielle affirme : « une société conduite par des capitalistes purs et durs est vouée à la mort de l’homme. Or l’homme doit être placé au centre de toutes nos préoccupations » (p.105). Citons dans la même lancée l’intégrité que met en évidence l’attitude de FAM déclarant à la page 156 « je ne peux disposer de l’argent qui ne m’appartient pas » lorsqu’il découvre dans son compte bancaire, un virement visiblement destiné à acheter sa conscience. Nous n’oublierons pas l‘aptitude à rassembler quand le narrateur signale que pour FAM « les enfants de SY devaient se tenir comme les cinq doigts de la main. » et de questionner « Pourquoi vouloir, malgré le chagrin, couper un doigt malade s’il y a l’espoir de le guérir ? » (p. 171). Il y a naturellement la paire tolérance et rigueur que manifeste le traitement original que l’ équipe de FAM entend infligé aux dignitaires de l’ancien régime ; cette équipe exige de ceux- ci qu’ils « retroussent leurs manches. Ils n’auront pas, précise le nouveau chef de l’Etat, d’autre prison que celle de cultiver la terre (…) » leur « amnistie (…) est à ce prix » (p.168- 169). Et enfin, il y a les capacités intellectuelles (FAM est docteur en sciences politiques) et l’ancrage dans l’ésotérisme endogène ; il a « du ventre[7] » lit- on la page 112. Le personnage de FAM se conçoit dès lors en dernier ressort comme le tableau signalétique des critères définitoires des aspirants au leadership politique
P.A.N.Chef de Département de Français
Lycée MBELE / Libreville
[1] Milan KUNDERA, L’Art du roman, Paris, 2005 (réédition), p. 27.
[2] C’est la principale finalité qu’elle assigne à l’acte d’écriture dans l’épigraphe de l’œuvre prétexte de notre réflexion. Cf. p. 03
[3] L’intégralité de ce nom apparaît à la page 78
[4] Cette désignation définie apparaît 11 fois dans l’œuvre, comme un refrain, respectivement aux pages 16, 21, 22, 48, 49, 58, 66, 109, 129, 149 et170
[5] Point n’est besoin de rappeler ici que la notion de dynamique actantielle (avec les catégories de sujet- héros, d’objet, de destinataire, de destinateur, d’opposants et d’adjuvants) est due à Algirdas Julien GREIMAS, théoricien bien connu de tous ceux qui s’intéressent à la sémiotique narrative
[6] Canaan est un pays où coule le lait et le miel ; c’est la Bible (cf. le livre de JOSUE) qui en parle. Eldorado, pays imaginaire où l’on marcherait sur l’or, le diamant, le saphir et toutes les autres pierres précieuses a été décrit par VOLTAIRE dans Candide. Ces deux lieux ne sont sans doute que des allégories du paradis, cadre de vie envisagé comme dénué de toutes difficultés et empreint de bonheur, d’exaltation et de joie continuels
[7] Cette expression est un calque de la langue de l’auteur, elle évoque l’ EVU ;la croyance veut qu’il s’agisse d’une espèce d’oiselet avec lequel certains naissent ou que d’autre ingurgitent ; il est censé doter son porteur de moyens d’action et de potentialités surnaturels.
[8] Certains analystes éminents comme Charly Gabriel MBOCK dénient toute pertinence à ce concept ; arguant la prépondérance de la langue dans la classification d’une œuvre littéraire, ils soutiennent que la littérature africaine écrite en français ne peut être conçue comme étant africaine tout comme des littératures française d’expression anglaise ou russe d’expression portugaise sont inconcevables. Lire à ce sujet de cet auteur, Le Chant du Signe (Essai d’Anthropologie de l’orature), Presses Universitaires de la Nouvelle Orléans, Etats-Unis, 1999. Précisément le chap. XIII : « L’Africanité de la littérature africaine »
[9] Paris, Présence Africaine, 2001, 150 p.
Il faut dire que ce texte fort en évocation et stratégie politique se lit dans une perspective de la transition du pouvoir en douceur , loin des violence, de l’écoulement du sang … Une plume alerte et jouissive …
j’ai trouvé en lisant « Fam », une plume vraiment lucide, sur la vie et ses contradictions sous le soleil de Gabao.