Luc Ngowet:où sont les intellectuels gabonais ?
J.A. I L’INTELLIGENT N° 2112 ─ DU 3 AU 9 JUILLET 2001
Essai. Luc Ngowet énumère les freins et les blocages qui empêchent l’expression d’une création culturelle riche et variée. Un tableau sans concession par JEAN-DOMINIQUE GESLIN
Les intellectuels gabonais existent-ils ?
-
Tel aurait pu être le titre de l’essai de Luc Ngowet. Mais le fait que cet ouvrage soit publié à Libreville par les éditions RapondaWalker répond déjà partiellement à la question. Ce document confirme le rôle particulièrement actif que cette jeune maison,.créée en 1993 en mémoire du premier prêtre et évêque gabonais décédé vingt-cinq ans plus tôt, joue désormais dans le paysage culturel du pays. Alliant à la fois l’impertinence et l’érudition, elle poursuit sa tâche de vulgarisation dans des disciplines aussi diversifiées que la botanique, l’histoire, la linguistique, la littérature ou les sciences politiques. Résolument orientée vers la promotion de la culture gabonaise, elle propose d’ores et déjà plus d’une vingtaine de titres, y compris des oeuvres de fiction. Mais sa dernière parution n’a rien d’imaginaire.
En se fondant sur une observation attentive de la société gabonaise, l’auteur, un jeune journaliste né en 1977 à Port-Gentil, aborde sur un ton volontiers irrévérencieux ─ voire pamphlétaire ─ les Petites Misères et grands silences dont souffre la culture gabonaise et ses principaux vecteurs de diffusion. Luc Ngowet énumère au fil des pages les multiples freins, blocages et handicaps qui empêchent encore l’expression d’une création culturelle riche et variée. La société gabonaise, elle-même en mal de valeurs, ne favorise pas, il est vrai, cette création dont la renommée a encore bien du mal à franchir les frontières du pays. Mais Si les Gabonais eux-mêmes n’ont pas encore cette « culture de la culture », force est de constater que les médias et autres canaux de diffusion du savoir ne remplissent pas leur mission.
« Les librairies et bibliothèques de la capitale offrent une vision joyeusement apocalyptique.» Du côté de l’audiovisuel, l’offre n’est pas vraiment meilleure : «Les médias gabonais nous gavent de programmes indigestes. Pis, la télévision et la radio représentent de véritables instruments de propagande ─ ouverte ou dissimulée ─ et d’abrutissement. » Quant à la presse écrite, elle reste dominée par L’Union : «Certes, le journalisme de guérilla n’est pas et ne peut être la tasse de thé d’un quotidien gouvernemental. Mais vu son monopole et son influence, on aurait aimé qu’il joue un rôle plus important pour la promotion de la démocratie gabonaise.
« Les médias nous gavent de programmes indigestes. La télévision et la radio sont des instruments de propagande. »
Si la diffusion culturelle demeure laborieuse, la création elle-même n’est pas forcément d’une qualité suffisante pour intégrer le patrimoine national. Ainsi, Luc Ngowet n’hésite pas à se montrer très critique vis-à-vis de ses collègues écrivains : « Malgré des avancées formelles, les lettres gabonaises n’ont connu aucun bouleversement de fond », à l’instar des mutations dont ont bénéficié des domaines aussi variés que la musique ou les arts plastiques. Et Ngowet d’insister sur cette pénurie «Peut-être m’opposera-t-on que [Justine Mintsa] s’est fait publier récemment chez Gallimard. À y regarder de plus près, ce n’est pourtant pas un gage de prouesse littéraire. » Reste que si, de Ben Okri à Soyinka, le Nigeria peut aligner un nombre impressionnant de grandes plumes, sans doute le doit-il aussi à son vivier artistique. Cent vingt fois plus peuplé que le Gabon, il n’est pas anormal qu’il compte cent vingt fois plus d’artistes de renom.
Malgré sa taille, le pays ne peut que compter sur les siens. C’est pourquoi l’auteur appelle à une véritable mobilisation des intellectuels à l’instar de ceux qui, à Ouaga, Cotonou ou Yaoundé, n’hésitent pas à jouer un rôle citoyen. « L’élite, après des lustres de pratiques assidues de la langue de bois, de silences, de compromissions ou d’attitudes velléitaires, paraît peu à peu sortir de sa torpeur. Bravo. On ne peut que s’en féliciter. Car ses responsabilités sont immenses [...] : éduquer, informer, prévenir, aider à donner du sens, revaloriser et démocratiser la culture. À défaut, pour l’heure, d’une réelle culture de la démocratie. »
Pour brosser ce tableau sans concession de la culture de son pays, Luc Ngowet ne prend pas de gants. Quitte à se faire de nombreux ennemis. C’est aussi pour cela que la fondation Raponda Walker a choisi d’éditer son essai. Sans céder à la provocation gratuite, les ouvrages qu’elle publie donnent à lire un point de vue différent. Parfois même détonnant. Ainsi, dans un précédent ouvrage consacré à l’État au Gabon, le juriste Guy Rossatanga titillait ses concitoyens sur leur « gabonité », estimant que «le dernier des Gabonais se considère comme différent (en termes de supériorité) de tout autre Africain, du seul fait d’être né gabonais ». De quoi stimuler la réflexion de ses contemporains sans craindre de s’attirer leurs critiques. Ou même de susciter leur mécontentement. Et si c’était simplement cela, un intellectuel?
Cet article en le lisant, stimule en donnant des moyens sécurisant et visant une amélioration dans le choix de nos loisirs , préservant toujours la qualité en incluant en premier choix pour nos enfants des valeurs intellectuelles.
Les médias locaux ont un contenu bien restreint qui abrutit sans relâche les masses plus qu’ils ne les instruisent. Je crois qu’il y a un malaise profond dans la promotion d’idées et d’implantation de réelles structures qui militeront pour la culture. Bien triste car les valeurs ne cessent de se niveler au ras du bitume. L’heure est à la prise de conscience. Continuez à écrire et à publier. Nous achèterons vos œuvres et inciterons d’autres à faire autant pour que vous désespériez pas dans votre solitude de penseur bien isolé. Partager des vues contraires dans un tel contexte est toujours très exigeant. Du courage!