Anatomie d’un discours littéraire à « coeur ouvert » de : A corpus confus , Accord perdu (P.8) de Prisca Otouma.
Anatomie d’un discours littéraire à » coeur ouvert » de
À corps confus
Accord perdu, (P.8) de Prisca Otouma ‘’
A la lecture de cette œuvre on comprend aisément que tout être naît, peut s’épanouir et se multiplier. Son passage de vie à trépas est la condition, première de son existence. Cependant, il est parfois insupportable de ‘’ ternir’’, de ‘’périr’’, de dépérir tant sur le plan psychologique que physique. Vivant dans un monde en mutation, nous devons nous en accommoder de notre mieux. Aussi « Des corps naissants, combatifs ou douloureux, mais toujours brulants de vie, s’élève une ode poignante à la liberté et au mouvement » (Quatrième de couverture). Sous la plume de Prisca Otouma, elle ‘ ‘crie’’ sans détours à la vie et à la mort en posant l’Humain comme le socle de son ‘’ humanité’’ et en concédant une place à la dégénérescence de l’Etre et a ses possibles thérapies. Les éléments linguistiques qui composent le titre sont d’un rythme accrocheur. Ils peuvent porter à confusion. En fait, ce sont deux mots qui se rapprochent par leur caractérisation ‘’adjective’’ dont les constituants ne sont ni opposés ni synonymes. Confus (vague) n’est pas le contraire de perdu (que l’on ne possède plus) encore moins son ‘’antonyme’’. Toutefois, ces deux termes peuvent renvoyer à une isotopie globalisante de la » dysharmonie ». Une chose est certaine, les ‘’ noyaux’’ ‘’ corps’’ et ‘’accord’’ forment une harmonie phonique indéniable qui se relie en symbiose avec les adjectifs ‘’ confus’’ et ‘’perdu’’, soutenus par la voyelle [u]; même si sur le plan orthographique et en genre ils se distinguent nettement, il n’en demeure pas moins que leur lien tient avec grace et force l’écho accrocheur du titre de ce recueil poétique. Ceci pour marquer la multitude des facettes humaines évoquées dans l’œuvre et la singularité qui la conditionne. Celle d’un »accord’’ passé entre deux individus et scellé par le facteur confiance. Matérialisé parfois par la ‘’ parole donnée’’, elle constitue, l’essence même de l’homme, celle du verbe qui fait sa particularité et la différencie de l’animal, dépourvu de ‘’Raison’’, tout en scellant le pacte de socialité.
À corps confus et accord perdu, s’ouvre par un fil d’Ariane dessinant avec »poigne » une sorte de déclin : ‘’Corps sans corps’’ ( p. 8).
‘’ De corps sans vie (p. 8) à « Corps silencieux »" (p.9) se dissimule dans un langage voilé le passage de la jeunesse insouciante,[ celle qui ne se demande pas ‘’pourquoi ‘’, mais ‘’comment ?’’], à la vieillesse prématurée dues aux turpitudes existentielles. En fait, le voyage du royaume de l’enfance à celui de l’adolescence se déroule souvent dans un ’’ esprit d’insouciance, ‘’ couvert par un air ou un esprit »ingénu’’, une apparence ‘’ candide’’ cousue par l’amour parental ou familial qui terre avec égard les ‘’aigreurs de la vie d’adulte’’. Mais le pire est-il toujours à venir ?
La récurrence de l’occurrence ‘’sans’’ dans les trois premiers vers du poème, annonce avec insistance ‘’ le manque, l’absence, le néant ‘’ dont les adjectifs ‘’ vidée’’ et ‘’ vidé’’, des vers suivants :
‘’ Vie vidée de corps’’ (p.8)
‘’ Corps vidé de vie’’ (P .8)
ne sont pas ‘’antithétiques’’, ‘’antonymiques’’ au substantif ‘’ de ‘’vide ‘’du vers qui suit
‘’Vide inassouvi…’’ (p.8).
Même si dans leur emploi, ces mots n’appartiennent pas à la même ‘‘classe’’, il n’en demeure pas moins que leur valeur sémantique est similaire et rend bien compte de la prédominance du champ lexical de la carence, de l’insuffisance, de la lacune, …
Nul doute, qu’à travers ces lexies invoquant un certain néant, l’auteur emploie de nombreux synonymes, voire des euphémismes pour évoquer avec douceur les affres de l’irréversible finitude de l’homme.
Vivre ou survivre, engendre parfois un dépassement difficile conduisant à une sorte de faiblesse, à une quasi incapacité de se prendre en charge, de se supporter, tant les hontes, les déshonneurs, les flétrissures, les opprobres, les bassesses, les abjections, les ignominies, les indignités, … pèsent sur le psychique et le physique. L’individu sujet à ces ‘’tyrannies’’ devient presque qu’une loque, dépourvu de tout courage et de toute force. Aussi, pour se relever, est-il bon de trouver une bouée de sauvetage, une main tendue, dotée d’un cœur ouvert, frais et sincère pour lui redonner l’espoir ; Et rendre possible le dessein qui mène à la ‘’fugace’’ allégresse.
Toutefois, l’auteur incite à relever ce défi en usant d’un ton presqu’impératif :
‘’ Soulevez ces corps’’ (p. 8)
‘’ Relevez ces vies’’ (P .8)
Une manière singulière de récuser le fait de poser les genoux au sol en signe de faiblesse, de résignation, d’abandon du combat. Le verbe ‘’ tomber’’ dans
« Qui tombent dans ah… ! » (P .8)
employé à la troisième personne du pluriel au temps présent et au mode indicatif, porte en lui seul le sens et le poids du ‘’gage’’, du ‘’pari pour la vie’’ dans cette proposition subordonnée relative qui complète avec précision, les puissantes injonctions précédentes et soutient aussi la suivante :
« Soudez-les à la vie » (P.8)
Cependant la tâche ne sera pas aisée car la faiblesse est humaine. Elle réside aussi bien dans ces « corps sans corps’’ (p. 8) c’est-à -dire faibles, maigres, frêles, gras, biformes, …que dans «’’Ces corps sans vie’’, gangrenés par déceptions, les pressions, les dépressions, les déraisons, …
« Vivre, c’est lutter contre toutes possibles pertes : celles des corps et des cœurs ».
Voilà la maxime que nous tirerons du second recueil de poèmes de Prisca Otouma, 2013, Jets d’Encre, 66 p.
Annie Charnet
Linguistique, Phone
Bordeaux III
CELFA
Quelle polyphonie! lisez ces vers!
Sonnez du cor!
Vous, corps sans » C »
Sonnez du cor
Vous, corps lassés,
Sonnez du cor
Vous , corps incensés,
Des » C » décédés
Sur le qui-vive
De ces corps cédés
Que la vie trainent silencieusement
Sous nos yeux muets. (p.12 )