BESSORA OU LE PRIX D’UNE NOUVELLE GENERATION
Bessora ou le prix d’une nouvelle génération |
Par Charles Edgar MOMBO
C’est la première fois que la littérature gabonaise se verra primer (au mois de mars 2008) d’un important prix littéraire : le Grand prix littéraire d’Afrique noire. Car de mémoire, aucun écrivain gabonais n’a été gratifié jusque là. C’est donc un honneur et une légitimation pour cette littérature, qui finalement, sort de plus en plus de sa jeunesse d’antan. Recevoir un prix littéraire, pour un écrivain, c’est voir consacrer une œuvre romanesque1 ou l’ensemble de la production d’un auteur. Dans la plupart des cas, le prix est octroyé à un romancier pour un ouvrage ou pour l’ensemble de son œuvre. Dans le cas de Bessora, c’est le dernier roman qui recevra cette récompense. Mais qu’est-ce qu’un prix littéraire ? A quoi peut-il servir ? Quelles sont les conditions d’attribution ?
Il n’existe point de définition type du ‘’prix littéraire’’. Plusieurs significations viennent s’accrocher à cette expression qui n’est pas tout à fait reconnue par les universitaires et spécialistes de la littérature. Ces derniers, comme le souligne Nathalie Heinich2, considéreraient les prix littéraires comme un objet « indigne », vu « la rareté des travaux existant sur ce sujet ». Le fait que les universitaires et les théoriciens de la littérature ne s’intéressent peut-être pas aux prix littéraires n’altère en rien l’idée que ces prix existent et font presque partie de la littérature favorisant ou non un nouvel accueil du romancier et de l’œuvre prévalus4.
1/ Naturellement, il existe plusieurs prix sur la poésie, la nouvelle… L’important ici est de présenter l’aspect proprement romanesque. Peut-être serions nous amener un jour à faire des comparaisons entre les prix littéraires romanesques et poétiques décernés aux créateurs africains en France. 2/ HEINICH (N.), L’Epreuve de la grandeur, Prix littéraires et reconnaissance, Editions La Découverte, p.29. 4/ Il suffit de s’en rendre compte lors de chaque rentrée littéraire où les éditeurs se bousculent afin de « faire passer » leur(s) livre(s) dont le seul but est de se voir primés.
De façon générale, deux sens contribuent à éclairer le terme ‘’prix littéraire’’. Il peut être perçu comme la reconnaissance de l’écrivain et de son œuvre. Il peut signifier également la réussite dudit écrivain. Laquelle réussite lui permet de rentrer dans une sorte de « grandeur » (pour ne pas reprendre Heinich). Ces reconnaissance et réussite sont ‘’attribuées’’ par un jury au terme d’un vote autour de deux ou plusieurs auteurs et ouvrages nominés. Et en France, la majorité, sinon l’essentiel des prix littéraires sont décernés en automne, précisément dans la première quinzaine du mois de novembre, laissant ainsi le temps aux différents membres des jurys le soin d’apprécier les œuvres. Même si les spécialistes ont tendance (et de plus en plus) à contester les méthodes de distribution des prix, il n’en demeure pas moins qu’ils occupent, l’espace d’un temps automnal, la vie littéraire en tous points. Sur un tout autre plan, le prix littéraire signifie aussi la réussite de la maison d’éditions. A ce propos, il faudrait estimer qu’elle joue un rôle prépondérant dans l’attribution d’un prix. J’ose croire que si Bessora était restée à Serpents à plumes (première maison d’éditions de l’auteur), elle n’aurait pas reçu, du moins par pour l’instant, un prix aussi important. Ce qui m’amène à penser que Gallimard ait pu « jouer » un rôle non moins nécessaire dans le succès de l’auteure. Or cette maison d’éditions fait partie des maisons qui, à l’instar de Grasset, Seuil et de plus en plus Albin Michel, voient leurs auteurs primés. Il faut dire que l’hégémonie de ces maisons d’éditions sur les prix littéraires est très ancienne1. Et souligner qu’en effet, « l’influence d’un éditeur sur les prix [devient] alors un élément de valorisation du capital » Plus le livre est vendu, plus il crée des bénéfices et le prix littéraires a ce génie de faire « exploser » les ventes d’un ouvrage. Attendons la confirmation ou non par Schiffano, directeur de la collection Continents noirs, à ce sujet. Pour Konop, les prix littéraires ressemblent plus « à une bataille ou à une course de chevaux qu’à autre chose. C’est le mieux placé qui qui gagne ». Cette conception du prix littéraire évacue, bien sûr, le « plaisir du texte » et surtout du lecteur…
Qu’à cela ne tienne, nous ne portons aucun jugement sur les conditions d’attribution des prix littéraires en France (car une fois de plus, même le grand prix littéraire d’Afrique noire est basé en France). Cette distinction, au sens bourdieusien, révèle bien sûr le caractère singulier et stylistique de Bessora dont Cueillez-moi jolis messieurs n’est que la consécration de ces différentes manières d’exprimer une vision du monde. Sûrement son installation à Paris, centre éternel de la littérature francophone voire mondiale peut-être reconnue comme une sorte d’entrance dans le monde fermé des prix et en considérant Paris comme la capitale symbolique de la production artistique et littéraire. A ce moment, l’écrivaine gabono-suisse demeure « instrumentalisée » par le jeu éditorial. Et ce prix littéraire confirme cette tendance en ce qu’elle ne ‘’maîtrise’’plus rien que son acte autorial. C’est aussi cela la conséquence de « l’épreuve de la grandeur ». Etant donné qu’elle ne fait qu’écrire, Bessora remplit sa tâche en ne s’adonnant qu’à l’écriture.
Avec ce prix, Bessora ouvre-là une voie/voix de la littérature gabonaise, en ce que de façon insidieuse ou non, elle fera retentir les sons et les gongs du roman et de l’ensemble d’une génération d’écrivains gabonais…de la diaspora. Toutefois, ce prix littéraire vient aussi tordre le cou à la pensée parfois minimaliste et insignifiante, mais préoccupante du « silence » ou du « soliloque » de la littéraire gabonaise. Assurément, avec Bessora entre dans le « sacro saint » de grands auteurs africains. Désormais, certains critiques pourraient alors regarder Autrement la littéraire gabonaise, à partir de cette distinction. Et les auteurs gabonais sauraient également bénéficier d’une audience plus large doublée d’une reconnaissance indiscutable. C’est peut-être un des chemins conduisant dans les grandes arènes éditoriales. C’est donc tout un pays qui est honoré.
Charles Edgar MOMBO